Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


7 mai 2015

Histoire du Sacre royal : prémisses de l’époque carolingienne à l’Ordo de 1246

Billet invité
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Histoire du Sacre royal 

Prémisses de l’époque carolingienne à l’Ordo  de 1246 

Par Mélanie GLAINE

  • Aux origines du sacre, un acte de légitimation politique sous l’égide de Jacob.

Samuel oint David...
Le sacre à Reims tel qu’on le connaît, n’a pas toujours été pratiqué par les rois de France et ce rituel sacré a connu une évolution et une ritualisation constante depuis le sacre de Pépin le Bref, premier roi de France sacré, à Saint-Denis en 754.  En effet, si l’on pense communément que le sacre fait le roi, il n’en a pas toujours été ainsi dans l’histoire royale française, chez les Mérovingiens, notamment, cette pratique était complètement absente, alors que change cette pratique ?

 Le terme même de sacre, nous fait entendre celui de sacré et l’on pense immédiatement que ce dernier apporte au roi une aura supplémentaire, qui serait le signe de l’élection divine. Si cela est avéré, il faut garder en tête que le sacre, tel qu’il est pratiqué à ses origines, a bien plus une portée politique. Pour preuve les paroles du pape Etienne II, qui nous sont rapportées par la Clausula de unctione peppini regis, alors qu’il sacre le roi Pépin le Bref ; ce dernier déclare qu’il est désormais « défend[u] sous peine d’interdit et d’excommunication, d’oser jamais élire à l’avenir un roi issu d’autres reins (de alterius lumbis) que de ceux-ci que la divine piété a daigné exalter ». Cette formule renvoie explicitement à la lignée royale. Le pape tente alors de créer une nouvelle dynastie, remplaçant celle de Mérovingiens par la Carolingienne. Cette parole  fait en même temps écho à une parole biblique adressée par Yahvé à Jacob, au chapitre 35 de la Genèse et qui dit que des rois sortiront de ses reins (lumbis), ainsi, Dieu reconnaît la légitimité de Jacob en tant que souverain alors même qu’il a supplanté le droit d’aînée à son frère, Esaü.

La sacre tel qu’il apparaît donc au VIII° siècle en France avec la dynastie carolingienne est avant tout un acte politique qui vise à légitimer le pouvoir de Pépin le Bref qui l’a usurpé aux Mérovingiens en perte de puissance. Avant cette date le sacre est essentiellement pratiqué par les rois wisigoths à partir du VII° siècle (Wamba, 672) et est évidement présent dans la Bible, des rois comme Samuel, David ou encore Saül étant sacrés ; le sacre s’écarte ainsi de la génération charnelle pour préférer une génération spirituelle entre le roi oint et les rois bibliques.
 
  • Le rituel du sacre.

Si les motivations d’un tel acte sont aux origines politiques, l’on ne peut mettre de côté la dimension religieuse de ce rituel qui se formalise jusqu’à l’époque capétienne, avant de devenir une étape sine qua non du processus de légitimation du roi, quelles sont donc les étapes de ce rituel ?

Les sources qui nous renseignent sur le déroulement de cette cérémonie depuis l’époque carolingienne sont de 3 sortes : les comptes-rendus, à l’image des chroniques qui nous rapportent le déroulement d’un sacre en particulier, les directoires, sortes de modes d’emploi qui décrivent les différentes étapes à accomplir pour organiser cet événement (achat de tentures, emploi de personnel spécifique etc ...) et finalement, les ordines, documents liturgiques utilisés durant la cérémonie par les prélats et qui contiennent un descriptif des différents moments de la cérémonie, ainsi que les prières qui doivent être récitées à ce moment précis. Si la cérémonie est amenée à évoluer au IX et X°s, dès ses origines elle s’organise autour d’une étape primordiale qui n’est autre que l’onction du roi à l’aide du Saint Chrême sur sept parties de son corps. Cette onction, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne fait pas du roi un prêtre à part entière mais il devient alors « rex-sacerdos », roi et prêtre, à l’image du Christ, ce qui lui vaut un statut éminemment singulier et parfois l’appellation de « prêtre du dehors », car il est oint, comme les clercs, mais ne fait pas partie de l’ordre ecclésiastique. Cette onction a la particularité d’être pratiquée en France, à partir de l’huile de la Sainte-Ampoule qui aurait servi au baptême de Clovis et aurait été apportée, selon Hincmar de Reims (806-882), par un ange ou une colombe à Saint Rémi durant la cérémonie. Cette huile est ainsi conservée à l’abbaye de Saint-Rémi de Reims.

Au delà de cette onction, l’on peut, à l’époque capétienne, évoquer sept autres étapes qui sont représentées dans l’ordo latin de 1246 qui décrit l’onction de Saint-Louis.
Tout d’abord, l’entrée dans l’église avec une halte sur le seuil et une procession jusqu’au chœur qui marque la venue au contact du plus sacré, puis l’arrivée de la sainte Ampoule protégée sous un dais ; il s’agit de l’arrivée de l’objet le plus sacré de la cérémonie, ce qui lui vaut cette attention particulière. Après quoi le roi fait différentes promesses et serments auprès du personnel religieux avant d’être adoubée avec une épée conservée à Saint-Denis et qui deviendra par la suite l’épée de Charlemagne. Une fois le roi oint, des laïcs comme le grand camérier lui remettent différents insigna dont des chausses fleurdelisées et des éperons d’or. Finalement, une messe est dite et le roi maintenant pleinement légitime change la couronne qui lui a été donnée lors du couronnement pour une plus légère avant de quitter la cathédrale et de retourner, via une procession solennelle, à son palais royal.

Procession de la Sainte-Ampoule
  • Une dimension ostentatoire.

Il est à noter que ce rituel prend une importance croissante tout au long du X° et du XI° siècle, notamment dans sa dimension ostentatoire. De plus en plus, l’on voit des mentions dans les ordines qui précisent que le roi doit être placé de manière « à être vu de tous », un jubé est d’ailleurs construit à Reims pour répondre à cette attente. Un document comme l’ordo de 1246 désigne d’ailleurs le roi comme personnage central de la cérémonie et il est représenté sur 14 des 15 enluminures du manuscrit. Cet ordo est remarquable par le nombre important de ses enluminures pour un document de ce type et par l’attention qui est portée à la construction de ses images, il apparaît évident à l’examen de ses illustrations que ces dernières tendent à fixer la cérémonie dans une mémoire visuelle qui désigne le roi comme acteur central de la cérémonie lien entre la sphère des laïcs et celle des clercs.



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Source principale : Royauté et idéologie au Moyen-Age d'Yves Sassier et Le sacre royal : à l'époque de Saint-Louis d'après le manuscrit latin 1246 de la BNF de Jacques le Goff. 


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