Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


20 nov. 2014

Cyril Le Meur : Trésor des moralistes du XVIIIe siècle - De Chamfort à Rivarol, passant du côté de Beloeil

Billet initial du 19 mai 2012
(Billet initial supprimé de la plateforme overblog, infestée désormais de publicité)

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Il y a quelques semaines de cela, dans un billet à la saveur épicée,  je contais mes déboires avec une grande enseigne capitalistique qui, non contente de se montrer incapable, à trois reprises, de délivrer le livre commandé, révéla l'aspect frelaté de ses services commerciaux : procédures robotisées, emploi massif de l'esclavage des grands poulaillers... Bref, trois mois après ma commande, pas même lassée par l'avalanche de mes réclamations, et toujours pas foutue de me livrer Trésor des moralistes du XVIIIe siècle de Cyril Le Meur, puisque c'est du livre dont il s'agit, la fétide officine décida unilatéralement,  pour tout prix de son incurable incompétence, du remboursement de l'ouvrage.

Je ne m'y attarderai point davantage ici, espérant avoir juste dissuadé quiconque ayant lu ces lignes de ne jamais plus s'adresser à tels estropiats de la vente culturelle en ligne.

Mais la sagesse populaire enseigne que d'un mal on tire parfois un bien. Et c'est ce qui advint en l'occurrence, mon billet tombant sous l'œil de l'auteur qui me proposa, fort aimablement, de m'adresser l'un des exemplaires qu'il lui restait.  
De ces péripéties, je sors ainsi avec entre les mains un exemplaire ornée d'une belle dédicace. J'en remercie chaleureusement Cyril Le Meur.

Mais entrons dans le vif de l'ouvrage.


Dans son introduction l'auteur circonscrit en liminaire les bornes de son recueil. Et après avoir dit un mot des moralistes "classiques" du XVIIe siècle constate, non sans une pointe d'amertume, que « les moralistes du XVIIIe siècle, ces sphinx des lettres françaises, dira-t-il un peu plus loin, n'ont jamais bénéficié des mêmes attentions », pire, que les "héros philosophes des Lumières les méprisent, voire les honnissent ». D’où l’importance de les redécouvrir. Et c’est la tâche à laquelle Cyril Le Meur s’est attelé avec élégance.
Mieux - fichtrement mieux - qu'une simple compilation de maximes ou de bons mots, le livre, après une érudite présentation, rédigée dans un style épuré et chatoyant tout à fait dans le ton de son objet, propose sinon une biographie, du moins une vigoureuse présentation de chaque moraliste dont sera proposé ensuite quelques-uns des mots d’esprit ; extraits secs qui « font toujours entendre une gravité ».
Comment d’ailleurs définir les moralistes d’une phrase, ceux-là mêmes aux « yeux vifs toujours voilés d’une tristesse » ? - et particulièrement ceux du XVIIIe siècle - Qu’est-ce qui les caractériserait avant tout ? Une courte phrase et un qualificatif y suffisent peut-être. Je les reprends de l’auteur. La qualité tout d’abord : « le sang froid intellectuel ». Ensuite, l’énoncé : « les moralistes ne traitent pas de la morale, mais de mœurs ».

J’ai pris parti, pour chacun des moralistes hantant les belles pages de ce "Trésor ", après une plus que lapidaire - et tendancieuse - peinture de ces « experts dans le maniement des pinces de la satire », de livrer aux amoureux de doctes loisirs, deux ou trois aphorismes en guise de cordiales salutations.
Un mot enfin de la difficulté à choisir parmi ces pépites de la pensée : elle se révéla à la hauteur du plaisir à les savourer sans modération, mais à grêles gorgées ; parfois le soir au coin de feu, si ce n'est étendu dans l'herbe sous un soleil en demi-teinte, ou encore affalé dans mon hamac à l’ombre d’un pommier, l'esprit par intermittence distrait par le chant des oiseaux – Turdus merula et ses pairs…

J'assume l'arbitraire d'un tel pillage pourvu qu'il suscite humeurs et états d’âmes en sympathie avec ceux décrits par Duclos... « Si l’on pouvait cependant imaginer quelque tempérament honnête entre le caractère ombrageux et l’avilissement volontaire, on ne vivrai pas avec moins d’agrément, et l’on aurait plus d’union et d’égards réciproques. »

Détail pratique : j’ai passé ici sur les pages consacrées à Marivaux et au "gentilhomme de La Brède" celui qui, "sur trois cahiers, consigna des pensées élégantes" ; non pas qu'elles ne soient pas passionnantes, mais plutôt parce que ces notables des lettres ne sont pas à strictement parler des moralistes. Et puis, je conviens volontiers, l'objet de cette prose n'est-il pas aussi de susciter l'envie de se plonger dans le texte in extenso tel que paru au 'Temps des cerises' ?

Un mot enfin de l'objet. Je me suis toujours montré sensible à la texture, à la tonalité de l'écrin. Et je me dois de confesser le plaisir non démenti à sentir sous mes doigts le gaufré de cette couverture au rouge un peu vieilli ; composition au médaillon et typographie un peu austères, non sans rappeler le charme des éditions d'antan, qui me fait songer à ces Quinze jours au désert de Tocqueville.
Le refuge de ces Maximes, pensées, portraits, anecdotes, bons mots, écarts, propos, a trouvé là le ton qui convenait à élixir si abrupt.   
Et si, après avoir refermé l’ouvrage, je ne devais exprimer qu’un seul regret, cela serait sans nul doute la brièveté de telles mises en bouche, si goûteuses. Mais Cyril Le Meur s’en explique : « Notre contribution critique se limite volontairement à une présentation des auteurs, bien succincte, mais fidèle à l’état de la recherche » ; il est humain de songer que de si bon miel l’on aimerait plus large cuillerée.

Pour conclure, on en conviendra, Trésor des moralistes du XVIIIe siècle se doit de figurer en bonne place sur nos rayonnages ; mieux, de se trouver toujours à portée de main. Rien ne dépasse, en effet, lorsque animé d’un esprit chagrin, la douceur un peu amère d'ouvrir au hasard une page d’un tel livre et d’en savourer le piment.

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VAUVENARGUES (1715 - 1747)

Foudroyé en sa trente-deuxième année.






« Faites remarquer une pensée dans un ouvrage, on vous répondra qu'elle n'est pas neuve ; demandez alors si elle est vraie, vous verrez qu'on en saura rien. »

« Quand on sent qu'on n'a pas de quoi se faire estimer de quelqu'un, on est bien près de le haïr »

« Nous découvrons en nous-mêmes ce que les autres nous cachent, et nous reconnaissons dans les autres ce que nous nous cachons à nous-mêmes »

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DUCLOS (1704 - 1772)

« Rousseau a dit de lui qu’il était ‘droit et adroit’ »


« … la finesse de caractère (…) n’est souvent que le fruit de l’attention fixe et suivie d’un esprit médiocre que l’intérêt anime. »

« Tel se fait caustique qui penchait d’abord à être complaisant, mais il a trouvé le rôle occupé. Quand on est rien, on a le choix de tout »

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CHAMFORT (1740 – 1794)
« Il a été ambitieux et galant à 20 ans et révolutionnaire et scrupuleux à 50 : c’est le bon ordre. »




« Les gens faibles sont les troupes légères de l’armée des méchants. Il font plus de mal que l’armée même, ils infestent et ils ravagent ».

« La calomnie est comme la guêpe qui vous importune, et contre laquelle il ne faut faire aucun mouvement, à moins qu’on ne soit sûr de la tuer, sans quoi elle revient à la charge, plus furieuse que jamais »

« Le titre le plus respectable de la noblesse française c’est de descendre immédiatement de quelques-uns de ces trente mille hommes casqués, cuirassés, brassardés, cuissardés, qui, sur de grands chevaux bardés de fer, foulaient aux pieds huit ou neuf millions d’hommes nus, qui sont les ancêtres de la nation actuelle. Voilà un droit bien avéré à l’amour et au respect de leurs descendants ! Et, pour achever de rendre cette noblesse respectable, elle se recrute et se régénère par l’adoption de ces hommes qui ont accru leur fortune en dépouillant la cabane du pauvre hors d’état de payer les impositions. Misérables institutions humaines qui, faites pour inspirer le mépris et l’horreur, exigent qu’on les respecte et qu’on les révère ! »

« Les pauvres sont les nègres de l’Europe. »


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RIVAROL (1753 – 1801)

« L’ardeur humanitaire des philosophes des Lumières, mais surtout l’emphase philanthropique de leurs médiocres successeurs révulsent Rivarol. »





« L’envie qui parle et qui crie est toujours maladroite ; c’est l’envie qui se tait qu’on doit craindre. »

« Plaisant dédommagement à proposer à un peuple écrasé d’impôts et opprimé par les puissances, que l’enfer pour les riches et le paradis pour les pauvres ! Les mauvais gouvernements ne demandent pas mieux qu’un langage qui tend à faire des esclaves plus soumis et des victimes plus résignées. »

« On mène toujours les peuples avec les deux mots, ordre et liberté : mais l’ordre vise au despotisme, et la liberté à l’anarchie. Fatigués du despotisme, les hommes crient à la liberté ; froissés par l’anarchie, ils crient à l’ordre. »

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SENAC DE MEILHAN (1736 – 1803)

« Etiemble l’a sans doute sauvé d’un oubli définitif… »



Ecrit en 1787 (cf. les analyses de certains experts en 2008)  : « De nos jours la Puissance des Souverains est assise sur des bases inébranlables. Des armées nombreuses s’opposent aux troubles intérieurs, ainsi qu’aux invasions promptes. » (1)

« Le régime Républicain paraît être le gouvernement de la jeunesse du monde (…) Le gouvernement Monarchique convient à l’homme mûr qui prise davantage le repos et la paix » (2).



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HERAULT-SECHELLES (1759 – 1794)

« Notre époque (…) ne pourrait retenir de lui que l’homme couvert de femmes ; il fut pourtant bon magistrat, il fut excellent helléniste, et presque érudit, il fut président de la Convention, ei fut aussi le rédacteur de la Constitution de 1793. »



« La société guérit de l’orgueil, la solitude de la vanité. »

« Semblable à une jolie femme que l’habitude commençait à nous rendre indifférente et qu’une mode nouvelle rajeunit à nos yeux, une idée, que la familiarité commençait à nous faire mépriser et oublier, se remontre et se fait estimer de nous en changeant de forme comme une Cléopâtre, et en nous faisant goûter les plaisirs de l’infidélité. »

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LIGNE (1735 – 1815)

Deux point d’ancrage : Il perdra son château de Belœil par la bataille de Flerus. Son père ne l’aimait guère



Une sentence que n’aurai pas renié Deleuze : « J’aime les gens d’esprit qui sont bêtes ; leur bêtise est toujours aimable et bonne : mais craignons les sots. »

« Qu’on ne dise jamais : la politique de la Prusse, de l’Angleterre, de la France, de l’Espagne, de la Hollande, etc. – C’est l’intérêt particulier, l’ambition, la vengeance ou le plus ou moins de logique ou d’humeur de l’homme ou de la femme en crédit qui font souvent prendre un parti qu’on met sur le compte ténébreux d’un profond calcul diplomatique. » 

« Quelque vertueuse que soit une femme, c’est sur sa vertu qu’un compliment lui fait le moins plaisir. Quand on la loue sur sa fidélité à son mari, elle est toujours prête à vous dire : quelle preuve en avez-vous ? et aurait envie de laisser échapper une demi-confidence pour en faire douter, quoique véritablement elle n’ait point de reproches à se faire. »

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JOUBERT (1754 – 1824)

« … l’aventure intellectuelle de ces vingt premières années (1774 – 1795) est digne d’intéresser ».


« En France il semble que nous aimons les arts plus pour en juger que pour en jouir… »

« Le raisonnement est une espèce de machine intellectuelle à l’aide de laquelle on conclut, c’est-à-dire on enferme dans une opinion déjà adoptée une autre opinion qui souvent n’y entre pas naturellement. »




 NOTES
(1)  Deux exemples, parmi pléthores : « La crise des subprimes n’aura pas d’effets dramatiques sur la croissance » DSK, 1er oct 2007, tout juste nommé directeur du FMI. « La crise de l’immobilier et la crise financière ne semblent pas avoir d’effet sur l’économie réelle américaine. Il n’y a pas de raisons de penser qu’on aura un effet sur l’économie réelle française » Christine Lagarde, 5 nov 2007.
(2) Note en net décalage au sujet traité dans ce billet ; mais je ne puis retenir cette embardée : « Les jeunes ne seront pas l'avenir de la France. Ce seront les vieux. En 2012, les plus de 65 ans représentent 17 % de l'électorat. En 2030, ils constitueront 30 % de la population ». (Le figaro 07 mai 2012). Analyse sociologique du vote à l’issue du second tour : « Les retraités ont voté à 53% pour Nicolas Sarkozy (…) celui a donc perdu 11 points auprès de cette catégorie en cinq ans » - L’instauration – c’est moi qui ajoute – de la franchise médicale n’y est sans doute pas pour rien. La tendance générale n’en est pas moins inquiétante : allons-nous droit vers une gérontocratie ? Autre résultat à méditer « … les inactifs placent en tête Nicolas Sarkozy, avec 51% des voix contre 49% seulement à son adversaire ». Ceci sans doute conséquence de l’impact du « travailler plus pour gagner plus », pertinent slogan, comme on s’en doute, dans un pays frappé de chômage massif. Source :


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